Au début du XVIIIe siècle, la péninsule italienne est le cœur de l’Europe musicale. Des musiciens viennent de loin se former au contact des maîtres italiens avant de repartir, transformés, pour mener carrière dans les différentes cours européennes. Venise, par son ébullition, dépasse alors les autres foyers musicaux d’Italie. Elle séduit par son esprit, mélange détonnant de virtuosité, de ferveur, de théâtralité et de richesse de timbres. Monteverdi, Lotti et Vivaldi auront marqués durablement la musique vocale de cette époque à Venise.
L’art vocal à Venise

Programme
Antonio LOTTI : Credo en fa – Crucifixus à 8 voix
Antonio VIVALDI : Credo RV 591
Claudio MONTEVERDI : Beatus Vir SV 268
Antonio VIVALDI : In Exitu Israel RV 604
Claudio MONTEVERDI : Confitebor secondo SV 266
Antonio VIVALDI : Laetatus sum RV 607
Claudio MONTEVERDI : Voichascoltate
Antonio VIVALDI : Laudate Dominum RV 606
Dans les chroniques musicales du 18e siècle, un nom est toujours cité avec le plus grand respect et la plus profonde admiration : Antonio Lotti.
Le « Credo en fa majeur » rappelle la musique d’église de Vivaldi. Cette pièce semble une anthologie de la rhétorique baroque. La musique naît du texte pour en faire ressentir le sens et nous émouvoir. Figuralismes, imitations, frottements harmoniques, ruptures, silences sont accumulés par ce compositeur virtuose qui exige une tout aussi grande virtuosité de ses interprètes. Il est écrit dans un style concertant virtuose. Dans le « Crucifixus » qui suit, considéré comme l’un des chefs-d’œuvre de la musique d’église italienne, Lotti avec un choeur dividé en huit parties amoncèle les dissonances avec une densité expressive fascinante. En à peine deux ou trois minutes de tensions dissonantes, c’est toute la Passion – flagellation, montée au calvaire, supplice de la croix, mise au tombeau – qui est illustrée, mais aussi donnée à ressentir, physiquement, à l’auditeur, affligé à son tour par empathie.
Sans aucun doute, Monteverdi était le plus grand des compositeurs italiens de la Renaissance. Il a révolutionné la musique de théâtre et d’église avec son utilisation dramatique et imaginative des instruments et des voix, et avec ses harmonies audacieuses. En 1613, Monteverdi est nommé maître de musique à Saint-Marc de Venise. Il y resta jusqu’à sa mort en 1643, consacrant son temps à diriger le chœur et à composer une série de merveilleuses pièces sacrées qui répandirent sa renommée dans toute l’Europe. Beatus Vir, qui a probablement été composé en 1630, a été publié dans la collection de 1641 du compositeur Selva Morale e Spirituali. Le motet, mise en musique du Psaume 112, est un superbe exemple du style dramatique de Monteverdi. Il oppose des paires ou de petits groupes de voix au chœur complet, une technique connue sous le nom de stile concertato – l’une des caractéristiques les plus significatives de la musique baroque. La pièce est composée pour chœur à six parties et solistes, avec orgue, basse continue et deux parties de violon obligées.
En 1640 paraît la monumentale Selva morale e spirituale. Cette anthologie de musique liturgique et paraliturgique est l’unique témoignage de l’intense activité compositionnelle que Monteverdi déploya pour San Marco : de nombreuses compositions sacrées semblent donc irrémédiablement perdues.
Dans cette « foret morale et spirituelle » Monteverdi nous offre la synthèse des plus divers aspects de son art. Il y associe des œuvres d’époques et de genres différents, des pièces in stile antico et des pièces in stile moderno, mêlant voix et instruments, suivant la tradition vénitienne des cori spezzati (composition pour plusieurs chœurs, où s’étaient illustrés auparavant les Gabrieli). Il y inclut également des motets de soliste pour une ou plusieurs voix et basse continue, qui dénotent une nette influence du genre naissant de l’opéra. Mais cette Selva morale est avant tout un ouvrage de “musique pratique”, qui contient tout ce qui est nécessaire pour orner les différents offices de l’année : les messes et les vêpres, mais aussi les exercices spirituels des nobles familles. Le recueil est soumis à une organisation monumentale qui lui confère un caractère de “testament” et surtout de “manifeste musical”. Il est divisé en quatre grandes parties, correspondant aux différents genres proposés et à leurs divers emplois dans les institutions catholiques et la liturgie.
La troisième partie du recueil contient les psaumes concertants destinés aux offices de vêpres. Ils illustrent une autre orientation esthétique des musiques de la Contre-Réforme : l’édification par l’émotion. Parmi ceux-ci le Confitebor secondo fait appel à un dispositif plus réduit encore : trois voix (soprano, ténor et basse) dialoguent avec deux violons et basse continue sur une basse à l’aimable rythmique dansante.